L’Ordre national des Pharmaciens rend public le fact-checking du rapport IGF concernant la profession de pharmacien titulaire d’officine, et en démontre les aberrations

22/08/2014

Troublé par l’opacité intentionnelle dans laquelle se déroule jusqu’ici l’examen de sa profession – rappelons qu’en dépit de demandes répétées le rapport de l'Inspection des Finances (IGF) n’a jamais été rendu public par le Gouvernement – l’Ordre national des Pharmaciens (ONP) opte sans hésiter pour sa part pour la transparence la plus totale. En l’absence d’un tel débat, les affirmations hâtives du mois de juillet doivent être considérées comme nulles.

Les conclusions du fact-checking sont édifiantes. Le gouvernement ne saurait engager une réforme de la profession sur la base d’un rapport IGF fondé sur une densité stupéfiante d’approximations et d’aberrations.

« En tant que présidente du conseil national de l’ordre, je me dois de veiller à ce chaque pharmacien qui contreviendrait aux règles et aux valeurs de sa profession soit sanctionné et par ailleurs je dois assurer la défense de l’honneur de la profession. Je me dois donc de réagir pour rétablir les faits quand ils entachent la réputation de la profession, entamant par là même la confiance du public. »  indique Isabelle Adenot, président du conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

La conclusion centrale du rapport IGF est fausse : dans les faits, le prix des médicaments à prescription facultative non remboursables progresse moins vite que l’inflation. L’existence de 400 millions d’euros de pouvoir d’achat à redonner aux français n’est donc pas démontrée.

L’affirmation principale du rapport IGF, s’agissant de la profession de pharmacien titulaire d’officine, est que le prix des médicaments non remboursables aurait « explosé » dans les dernières années. De fait sur les 6 milliards de pouvoir d’achat à redonner aux français, 400 millions d’euros seraient captés indument par les pharmaciens d’officine.

Fort heureusement pour les français cette affirmation est fausse. Il est démontré, par une étude du tiers de confiance CELTIPHARM, avec une méthodologie rendue publique, sur une base de 3000 pharmacies (échantillon représentatif) et de la totalité des médicaments à PMF non remboursables (plus de 2 000) que le prix de ces médicaments identiques entre 2009 et 2013 a augmenté (1%) moins vite que l’inflation (1,6%) et ce, alors qu’en 2011, le taux de TVA de ces médicaments a augmenté de 1.5%. Pour une totale transparence, les données sont publiées aujourd’hui en open data sur le site du gouvernement pour chacun puisse se forger une opinion . A titre d’exemple, parmi les 20 premières références vendues en 2013 et qui existaient déjà en 2009, le prix moyen TTC du Citrate de Betaïne* a baissé de 0,3% en moyenne par an ; celui de l’Humex Rhume* a baissé de 0,7% par an, celui de l’Efferalgan Vitamine C* a baissé de 0,2% en moyenne par an, alors même que le taux de TVA de ces médicaments augmentait de 1.5% en 2011.

Ajoutons que les études européennes démontrent que ces médicaments sont en France parmi les moins chers d’Europe. Autrement dit, les 400 millions de pouvoir d’achat à redistribuer, tels qu’ils ont été localisés par l’IGF, n’existent pas.

Le rapport est entaché par des erreurs dont le nombre et l’ampleur oblige à se poser la question du sérieux du travail de l’IGF.

Au-delà de l’erreur centrale concernant le soi-disant pouvoir d’achat pharmaceutique à redonner aux français, c’est plus généralement toute l’annexe du rapport IGF concernant la pharmacie d’officine qui est entachée de données ou d’affirmations inexactes, de contradictions, d’études à la méthodologie non dévoilée, de panels non représentatifs.

Par souci de transparence, l’Ordre publie aujourd’hui lui-même sur son site www.ordre.pharmacien l’annexe sectorielle du rapport IGF sur la profession de pharmacien titulaire d’officine, que le gouvernement a jusqu’ici, avec le rapport principal, refusé de rendre public. Chacun comprendra pourquoi en consultant cette annexe et son fact-checking point par point.

L’Annexe contient des éléments qui caractérisent un travail stupéfiant s’agissant d’un corps d’élite de l’administration française. Par exemple l’IGF indique dans son rapport, qui a été remis au gouvernement en mars 2013, que les médicaments non remboursables ont un taux de TVA de 5,5 % alors que la loi de finances rectificative pour 2011 avait porté ce taux à 7 %. Il est permis de se demander comment une telle négligence, qui a évidemment de fortes conséquences sur l’analyse des prix, a pu être commise.

Sur le point très spectaculaire des revenus des pharmaciens : s’agissant des 5.504 pharmacies imposées à l’impôt sur les sociétés, l’IGF indique qu’elle a analysé les dossiers fiscaux de 22 pharmaciens choisis aléatoirement. On peut là encore se demander où les inspecteurs de l’IGF ont appris les statistiques pour considérer qu’un échantillon de 22 items est représentatif d’un groupe de 5.500. Il n’était pas raisonnable sur cette base de jeter en pâture des chiffres de rémunération des pharmaciens les assimilant à des professions de rentes ou de privilèges, d’autant que le rapport indique lui-même qu’en 2010 la rentabilité moyenne des pharmacies était proche de 7% et varie très peu en fonction du chiffre d’affaires alors qu’en 2010 le taux moyen de rentabilité de l’économie française était de 8%.

La logique exclusivement financière de l’IGF la rend inapte à comprendre le contexte dans lequel se déploie la profession de pharmacien et rend ses recommandations dangereuses pour les Français.

 L’IGF s’autorise, sur la base d’une logique exclusivement financière et contenant toutes sortes d’aberrations de contradictions et d’approximations, à formuler des recommandations. Ces recommandations sont dangereuses du point de vue de la santé publique. Pour l’IGF, « le rôle de conseil et de prévention joué par le pharmacien n’apparait pas indispensable à la protection de la santé publique pour les médicaments à prescription facultative ».  Elle propose de le remplacer par un « professionnel qualifié »  dans les autres commerces que les pharmacies d’officine, présent ou disponible à distance ; d’ouvrir le capital des pharmacies libérales aux investisseurs dans le but de créer des chaines de pharmacies et de supprimer les règles de répartition géographique des pharmacies.

Un sondage publié en aout confirmait que les Français sont majoritairement opposés à la vente de médicaments en supermarché. Ils savent que le médicament, même non prescrit, est un produit spécifique. Au Royaume-Uni, où les médicaments type aspirine sont en vente libre, un tiers des 18-24 ans britanniques admettent une forme de dépendance et prennent tous les jours des médicaments en vente libre jusqu’au point ou les médias ont pris l’habitude de parler de la « génération painkiller ».  En France, l’usage inapproprié des médicaments provoque 12 000 décès et 120 000 hospitalisations par an. Ces chiffres énormes ne feraient qu’empirer si on autorisait la vente des médicaments dans le temple du commerce, ou le pharmacien ne disposerait pas d’une complète indépendance, comme cela est dénoncé au Royaume Uni.

Quant à l’ouverture du capital des pharmacies à des investisseurs, les français savent que les chaînes de distribution ne s’installent que dans les endroits les plus rentables, alors qu’en pharmacie ce qui compte c’est la proximité et le lien social. On pourrait par ailleurs s’étonner qu’un Ministre toujours soucieux du « produire français »  nourrisse comme projet de livrer les 22.000 pharmacies libérales françaises aux appétits des mastodontes étrangers.

Enfin, alors que l’actuel maillage territorial, résultant des règles d’implantation des officines, permet l’égal accès aux médicaments à toute personne, de jour comme de nuit, l’IGF recommande une liberté totale d’installation, mais note elle-même que cette liberté pourrait « aboutir à une dégradation de l’accès aux médicaments dans certaines régions peu densément peuplées ».  En conséquence elle propose de subventionner, en cette période d’économie contrainte, les pharmaciens qui accepteraient d’exercer dans ces régions.

Après avoir proposé de totalement déstructurer la pharmacie française, l’IGF recommande un renforcement aberrant des pouvoirs disciplinaires de l’Ordre national des pharmaciens afin qu’il « soit en mesure d’assurer le respect de l’indépendance des professionnels par les investisseurs ».  Non seulement c’est un non-sens d’étendre les pouvoirs de l’Ordre à des acteurs non pharmaceutiques, mais il est de plus inconcevable, dans un état de droit, de faire cumuler à une seule institution, les activités de contrôle d’accès à la profession, d’inspection et de sanction. 

4 millions de Français franchissent chaque jour les portes de l’une des 22.000 pharmacies qui maillent le territoire. L’IGF admet que 93% d’entre eux sont contents de la qualité de service de leur pharmacie. Alors qu’est actuellement lancée une expérimentation pour délivrer en pharmacies des antibiotiques à l’unité, la profession souhaite rappeler qu’elle est en réforme permanente. Les pharmaciens d’officine voient au fil des ans leur exercice constamment évoluer pour s’adapter aux besoins de la population.

Isabelle Adenot, Présidente du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, le rappelle avec force : « Les comparaisons européennes montrent que la pharmacie française est performante du point de vue des prix. La France a mis au point un modèle pharmaceutique fonctionnel, évolutif et doté d’une bonne capacité de réponse aux défis de son temps, et présent sur tout le territoire de façon équitable. Ceux qui sur la base d’une étude aberrante briseront une construction patiemment mise au point, adaptée aux réalités du pays, sécurisante pour les français et efficace économiquement, joueront aux apprentis-sorciers. L’Ordre national des Pharmaciens défendra coûte que coûte les intérêts des français ».

 

>>> Les données sont publiées aujourd'hui en open data sur le site du gouvernement :  www.data.gouv.fr  : taper "Etude sur l’évolution du prix des produits d’automédication non remboursables en France"  dans le moteur de recherche.