Commerce électronique de médicaments : Une décision brutale ! Plus de risques que d'avancées
20/12/2012
L’Internet est un fait de société qui fait et fera sans cesse davantage partie du quotidien des Français et des professionnels de santé.
Les pharmaciens, au service des patients, en sont activement promoteurs depuis de nombreuses années, en toute sécurité, notamment à travers la télétransmission du tiers-payant et la mise en oeuvre du Dossier Pharmaceutique.
Le gouvernement a dû transposer la Directive européenne relative à la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
L’Ordre s’est battu et se battra sans cesse pour que les rôles essentiels du pharmacien ainsi que le maillage territorial des pharmacies soient préservés, dans l’intérêt supérieur de la santé publique.
FAIRE RESPECTER L’ESSENTIEL
Les sites de commerce électronique doivent exclusivement être et demeurer une simple extension des pharmacies légalement autorisées sous le contrôle constant et effectif du pharmacien, qui reste soumis aux mêmes règles déontologiques et professionnelles.
- Tout site de commerce électronique de vente de médicaments est une extension d’une pharmacie physique : pas de pharmacie physique, pas de site ;
- Pas de site sans autorisation des Agences régionales de santé (ARS) et déclaration à l’Ordre ;
- Tous les sites autorisés doivent être répertoriés sur une liste accessible à tous ;
- Tout médicament délivré en ligne doit l’être dans les mêmes conditions qu’en officine : une délivrance exclusivement sous le contrôle effectif d’un pharmacien ;
- Le champ des médicaments autorisés à la vente électronique doit être restreint ;
- Tout médicament commandé sur site doit partir du stock de la pharmacie ;
- Les pouvoirs publics doivent édicter des « bonnes pratiques » pour conjurer les dérives, contrôler les sites comme les pharmacies physiques et suspendre les sites en cas de manquements aux règles présentant des risques pour les patients.
LE PHARMACIEN, INTERLOCUTEUR ET DISPENSATEUR IRREMPLAÇABLE
Le médicament n’est pas un bien de consommation ordinaire. Toute substance active est à la fois vecteur de santé et facteur de risque. La sécurité du patient doit donc rester la priorité de tous.
L’internet n’est qu’un moyen. Comme tout moyen, il ne vaut que par l’usage que l’on en fait. Un couteau peut servir à partager un gâteau comme à tuer son prochain. Il s'agit de faire un usage positif de l'Internet désormais intégré à la loi.
Rien ne peut remplacer le conseil relatif au médicament donné dans une officine, en face à face par le pharmacien.
Le patient est un être physique et non virtuel. Il vit une souffrance et une inquiétude physique et psychique. Un être humain en difficulté, fragilisé, a besoin d’humanité, d’éthique et de compétence. Quels que soient ses avantages, l’Internet ne suffira jamais à les assurer.
Le patient a besoin, et il a droit, à un accès personnel et réel à un professionnel de santé. Nul écran ne peut répondre comme le font et ne cesseront de le faire les pharmaciens dans leur rôle d’accueil et de conseil. Pour cela l’Ordre se mobilise et se mobilisera toujours au côté des pouvoirs publics pour sauvegarder le maillage territorial des pharmaciens.
Le recours à l’Internet, prochainement ouvert et régulé, ne pourra jouer un rôle positif que s’il vient renforcer l’action du pharmacien et non la brouiller ou la remplacer.
DES RISQUES GRAVES. DES RESPONSABILITÉS LOURDES
L’Ordre ne peut qu’être respectueux de la loi. Pour autant, sa mission de santé publique l’oblige à rappeler avec vigueur les risques majeurs du commerce électronique des médicaments.
- La délivrance électronique ne permet pas l’usage de la carte Vitale qui n’a jamais si bien mérité son nom : il devient en effet impossible d’accéder avant la délivrance au Dossier Pharmaceutique que plus de 24 millions de français ont déjà adopté. Accès qui permet d’effectuer l’analyse des redondances et des interactions de substances actives ;
- Il est contradictoire de vouloir lutter contre la surconsommation médicamenteuse et de favoriser des sites à finalité essentiellement commerciale et non de santé publique ;
- Cette surconsommation potentiellement iatrogène est inéluctable : le patient consommateur sera incité à acheter en quantité pour éviter les frais de port alors que le pharmacien doit s’appliquer, comme l’impose son code de déontologie, à ne délivrer que les quantités strictement utiles ;
- L’Internet menace gravement une des dimensions essentielles des professions de santé : la confidentialité. Là où le Dossier Pharmaceutique est crypté, l'échange d'e-mails ne l'est pas : ce médicament est contre-indiqué pour une femme enceinte. Etes-vous enceinte ? ...
- Ce ne sont pas les médicaments proposés en ligne par les pharmaciens qui seront contrefaits, ce sont les pharmacies qui seront falsifiées. La prolifération de sites vendant tout et n'importe quoi en matière de santé et parapharmacie, sous des dehors pseudo pharmaceutiques, met en danger les patients qui ne se repèreront pas dans cette jungle électronique. Tous les labels peuvent être falsifiés ;
- La délivrance par Internet complexifie les contrôles à réaliser et rend plus difficile la vérification du respect des règles professionnelles.
L’autorisation de vente en ligne était peut-être juridiquement inéluctable mais elle est sanitairement inopportune et dangereuse pour la santé publique, aussi longtemps que ces périls ne seront pas jugulés. L’Ordre se battra pour qu’ils le soient.
UNE MOBILISATION GÉNÉRALE AU SERVICE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
L’Ordre a constamment alerté le Gouvernement sur les dangers du commerce électronique du médicament.
Le gouvernement connaît les exigences de santé publique que l’Ordre estime absolument nécessaires pour que l’Internet ne soit pas source de dangers, de confusion, de décomposition du service irremplaçable qu’assurent les pharmaciens.
L’Ordre attend la sortie des textes de l’Ordonnance de transposition pour se prononcer sur le respect des dispositions essentielles qu’il défend avec vigueur.
L’Ordre appelle tous les acteurs de la chaîne du médicament à se mobiliser : ou l’Internet élargit la liberté du patient sans mettre sa santé en péril, et élargit le champ d’action des pharmaciens au service des patients, ou bien il sera vecteur de désorganisation et de menaces. De cette mobilisation générale dépend le devenir de la pharmacie.
L’Ordre des pharmaciens est chargé « d’assurer le respect des devoirs professionnels et contribuer à promouvoir la santé publique et la qualité des soins, notamment la sécurité des actes professionnels » (L 4231-1, CSP). Il ne faillira pas à sa mission. Il intervient activement et constamment pour que le progrès ne se retourne pas contre un de nos biens les plus chers : la santé publique.
Isabelle ADENOT,
Président du Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens