Financiarisation de l’offre de soins : que dit le rapport de la mission d’information du Sénat ?
03/10/2024
Le 24 janvier 2024, la Commission des Affaires sociales du Sénat a constitué une mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins, afin d’évaluer ce phénomène et ses conséquences sur le système de santé. Adopté le 25 septembre à l’unanimité des membres, le rapport comprend 18 propositions pour réguler ce phénomène en progression.
Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, et Philippe Piet, président du Conseil central de la section G (pharmaciens biologistes médicaux) avaient été auditionnés le 3 avril 2024 par la Commission.
La financiarisation est définie dans ce rapport comme « un processus par lequel des acteurs privés capables d’investir de manière significative, qui ne sont pas directement professionnels de santé, entrent dans le secteur des soins avec comme finalité première de rémunérer l’investissement consenti » .
En France, entre 2014 et 2023, la santé est le troisième secteur ciblé par les acteurs du capital-investissement, derrière l’industrie et les biens et services de consommation.
Un phénomène en progression mais encore mal appréhendé
Dans le champ sanitaire, le secteur de l’hospitalisation privée à but lucratif a été l’un des premiers concernés par la financiarisation. Quatre groupes détiennent 40 % de l’offre du secteur. En ville, la biologie médicale constitue le secteur le plus financiarisé. En 2021, les six plus grands groupes de biologie privés concentraient 62 % des sites de biologie médicale recensés sur le territoire national. Leur place varie, toutefois, d’une région à l’autre. L’évolution du cadre législatif a favorisé la concentration et la financiarisation du secteur, permettant à des biologistes n’exerçant pas directement au sein de la société de détenir plus de la moitié de son capital.
Le secteur officinal est également concerné par ce phénomène malgré des règles juridiques encadrant la propriété de l’officine et les opérations de restructuration.
Les Ordres professionnels ont souligné leur inquiétude quant au respect du principe d’indépendance dans certaines sociétés d’exercice libéral (SEL), liée à la complexité des montages juridiques observés.
L’évolution de l’offre de biologie médicale depuis le début des années 2010 démontre la difficulté, pour le régulateur, à maîtriser un mouvement de financiarisation parvenu à un stade avancé.
Mieux maîtriser le phénomène de financiarisation et ses effets
Afin de renforcer les outils de régulation économique et territoriale de l’offre de soins, la mission d’information recommande notamment de :
- Favoriser la constitution d’apports bancaires et l’accès à des modes de financement respectueux de l’indépendance professionnelle.
- Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l’indépendance des professionnels de santé.
- Mobiliser les autorisations d’activités de soins et d’équipements matériels lourds, levier à la disposition des ARS, pour assurer un meilleur équilibre territorial de l’offre. Dans le secteur de la biologie médicale, assurer une application effective des règles de territorialité de l’offre.
- Réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels pour lutter contre les effets de sélection engendrant des déséquilibres de l’offre de soins.
- Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d’examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.
Afin de garantir l’indépendance des professionnels de santé et protéger leurs conditions d’exercice, la mission d’information recommande notamment de :
- Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.
- Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.
- Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d’investissement dans le capital des SEL.
- Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant. Préciser la portée du principe d’indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins.
- Établir, avec les Ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement des SEL pour s’assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d’exercice.
- Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux Ordres, à l’issue d’une concertation. Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux Ordres professionnels à l’accord préalable de l’investisseur.
- Constituer des cellules régionales d’appui aux Ordres professionnels pour l’examen des statuts des SEL, croisant les compétences des DRFIP, des Dreets et des ARS.
En savoir plus :
- Financiarisation de l'offre de soins : une OPA sur la santé ? (Rapport d’information de la Commission des Affaires sociales du Sénat, 25 septembre 2024)
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