Finale du Hackingpharma : discours d'Isabelle Adenot, Présidente du Conseil National de l'Ordre des pharmaciens

Date

08/06/2016

Lieu

Discours prononcé au siège de l'Ordre à l'occasion de la finale du Hackingpharma

Auteur

Isabelle Adenot

Description

Nous aspirons tous à vivre plus longtemps et en bonne santé. L’innovation dans le domaine de la santé est donc plus qu’une exigence. C’est une évidence.
L’Histoire de la pharmacie est ainsi jalonnée de progrès techniques, scientifiques et industriels spectaculaires. L’art de préparer les remèdes est aussi vieux que le monde. Depuis les temps les plus reculés, l’homme a cherché dans son environnement ses remèdes. Et jusqu’au 19ème siècle ils étaient d’origine végétale, animale ou minérale. Hippocrate décrivait 230 plantes dans son Corpus Hippocraticum. Et Galien, le père de la pharmacie, en résumant et coordonnant les connaissances médicales de l’Antiquité, a marqué près de 15 siècles de la pharmacie.

Au début du 19ème siècle, la pharmacie a vécu une grande mutation : alors que les plantes entières étaient jusqu’alors utilisées fraîches ou sèches, les développements dans le domaine chimique ont permis d’isoler les principes actifs. C’est l’époque de la quinine, de la morphine, de la codéine et de la digitaline. Quelques années plus tard, ce sont les antibiotiques issus des champignons et les anticancéreux comme la vincristine par extraction de la pervenche tropicale.
La Pharmacie vécut une deuxième mutation : la chimie de synthèse a remplacé la chimie de l’extraction : reproduire par synthèse permet d’éliminer la servitude de l’approvisionnement en « drogue ». Et dans la foulée, quitte à produire autant modifier plus ou moins la structure pour améliorer l’emploi thérapeutique. C’est l’apogée de la thérapeutique par les molécules. Ces dernières années nous vivons une nouvelle ère, la réunion de la chimie et de la biologie. Protéines recombinantes, anticorps monoclonaux, antigènes, agonistes et antagonistes... Nous sommes à l’heure des « clefs et des serrures », des « messagers cellulaires » et de la thérapie cellulaire. Au fil du temps, nous sommes donc passés de la cueillette à la culture, l’extraction, la synthèse et les biotechnologies. Et ces immenses progrès pharmaceutiques ont bouleversé la médecine.
Ils ont aussi bien sûr bousculé l’évolution de la profession. L’apothicaire s’est éloigné de sa paillasse pour devenir le pharmacien dispensateur de médicaments fabriqués par l’industrie pharmaceutique en ville comme à l’hôpital. Nostalgie diront certains, crise identitaire diront d’autres. Mais tous les pharmaciens s’accordent sur une certitude : l’évolution d’une profession passe par l’évolution de ses rôles, puisqu’une profession doit répondre à des besoins. Et on l’a vu, les besoins ont considérablement changé.

Au tournant des années 60, sont arrivés les premiers programmes de pharmacovigilance. Et au cours de la décennie suivante, le concept de « pharmacie clinique » a fait son apparition. La pharmacie clinique redéfinit le rôle du pharmacien et son champ d’action. Le pharmacien se rapproche dorénavant des patients. De spécialiste du médicament, centré sur le produit, le pharmacien devient responsable du suivi du traitement et contribue à la prévention des pathologies. Aujourd’hui, une nouvelle innovation de rupture est en marche : le numérique et la digitalisation sont entrés dans le monde de la santé. L’e-santé et la m-santé induisent une nouvelle manière de concevoir le soin pharmaceutique dans la prévention et le suivi des maladies, en bouleversant la relation patient-soignant.

Ces innovations s’inviteront de plus en plus au comptoir des officines, dans les pharmacies hospitalières, dans les laboratoires de biologie médicale, et vont profondément modifier la pratique des pharmaciens, par le partage d’information et l’aide à la décision. C’est dans ce contexte que se situe le Dossier Pharmaceutique, aujourd’hui déployé en à peine quelques années à près de 35 millions de français, accessible dans la totalité des officines, dans près de 10% des pharmacies à usage intérieur et bientôt aux médecins des établissements de santé. L’autre grande mutation issue de cette innovation de rupture, concerne plus généralement notre système de santé : tous ces outils et applications génèrent des données. Leur exploitation modifiera les politiques de santé, les parcours de soins et les pratiques professionnelles. Mais comme les médicaments, ces outils et applications ont des bénéfices et des risques. Ils ne sauraient se déployer contre la liberté de l‘individu.
Vous le savez, l’Ordre est le garant du respect de l’éthique et des devoirs professionnels et tout particulièrement du secret professionnel. Je ne peux donc qu’être attentive à l’utilisation qui peut être faite des données de santé collectées, et appeler à la plus grande vigilance à cet égard. Il s’agit ici de données personnelles de santé, qui sont par nature sensibles, et dont il convient d’assurer la parfaite confidentialité.

Il y a quelque temps avait lieu à Las Vegas LA grand-messe mondiale de l’Innovation, le CES (Consumer Electronics Show). Cette année encore, objets connectés, imprimantes 3-D, dispositifs médicaux et robots ont contribué à l’avenir de la santé. Mais l’innovation n’est pas seulement à Las Vegas. Et vous nous l’avez prouvé, chers compétiteurs ! Vous étiez ici à Paris 117 équipes et 268 participants ! Tous, vous avez proposé des solutions innovantes pour faciliter la vie des malades et les aider à mieux gérer leurs traitements. Vos propositions font aussi progresser l’art pharmaceutique et aident à lutter contre les deux défis que nous avons à relever, les ruptures d’approvisionnement et lutte contre les médicaments falsifiés. C’est dans cet esprit que nous avons organisé ce hackathon. Nous voulions développer les possibilités offertes par le Dossier Pharmaceutique en matière d’applications « santé », dans l’optique d’un meilleur usage du médicament et d’optimisation du service rendu au patient. Vous avez inventé de nouvelles applications. Merci de vos travaux si talentueux. Car une dynamique est en cours. Elle sera irréversible : le patient n’entend plus être passif. Il se veut responsable et acteur de son traitement. Les pharmaciens veulent accompagner cette dynamique et entendent encore une fois être au plus près de l’innovation positive. Ils l’ont été pour le Dossier Pharmaceutique, ils le seront pour le déploiement du digital. Et l’Ordre, dans le cadre de ses missions, et dans la lignée du Président BRUDON, très attaché à projeter les pharmaciens dans l’informatique, se doit de continuer à être un stimulant, un incubateur d’idées plutôt qu’un suiveur, ne regardant pas passer le progrès avec angoisse. A tous ceux qui hésitent et redoutent de franchir le pas je rappellerai pour finir le mot célèbre de Victor Hugo : « Oser; le progrès est à ce prix.”
Je remercie les équipes de l’Ordre et de Docapost pour avoir osé organiser ce Hackathon. Et je vous remercie vous pour avoir osé y contribué. Les meilleurs d’entre vous seront récompensés. Aux autres, je dirai que le principal c’était de participer.
Grâce à vous tous, une évidence se profile. Les données du Dossier Pharmaceutique devront un jour ou l’autre et dans certaines conditions, être disponibles non seulement aux professionnels de santé mais aussi aux patients.C’est le sens de l’histoire.

Isabelle ADENOT