Pharmacie : ne jouons pas aux apprentis sorciers - Tribune d'Isabelle Adenot sur Le Monde.fr
30/09/2014
Isabelle Adenot
La France est à un moment difficile de son histoire et dans ces conditions aucun français ne peut se dire par principe contre les réformes. Dans un monde qui évolue, chacun sent que partout l'action mérite d'être repensée. Les pharmaciens sont dans cette attitude.
En tant que présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens mon rôle est d'inciter à l'innovation, comme le dossier Pharmaceutique, mais aussi d'alerter la population quand une réforme, plutôt qu'aller vers le progrès et la modernité, serait tournée vers le passé et vers la régression. Ce moment est si important dans l'histoire de la profession que le 30 septembre la quasi-totalité des pharmacies seront fermées excepté celles réquisitionnées par les Agences régionales de santé pour assurer la continuité de l'accès aux médicaments.
Quatre millions de français se rendent en moyenne chaque jour dans une des 22 000 pharmacies. Il leur suffit de pousser la porte de ces lieux de santé pour que les 60 000 pharmaciens et leurs équipes les écoutent et les conseillent, d'autant plus en ce moment où ils souffrent de la crise économique. Ce n'est pas par hasard que l'Etat a confié aux pharmaciens une mission de service public.
MOINS DE MÉDICAMENTS
Les pharmaciens ne comprennent pas une réforme qui viserait à vendre les médicaments en supermarché, lieu de consumérisme, alors que tous les efforts parallèles vont dans le sens inverse. Quel serait également le sens d'une réforme qui ouvrirait le capital des pharmacies à des groupes d'investisseurs internationaux en réduisant la nécessaire indépendance professionnelle des pharmaciens ?
Pourquoi jouer aux apprentis sorciers et détruire à terme le formidable maillage territorial de la pharmacie française, puisque de toute évidence des chaînes ne choisiraient que les lieux les plus rentables ?
Alors que fait consensus l'idée que la pharmacie du XXIème siècle doit être fondée sur moins de consommation de médicaments, et sur une consommation toujours plus individualisée, mesurée, expliquée, comme en attestent les nouveaux services proposés par les pharmaciens comme les entretiens pharmaceutiques, le dossier pharmaceutique ou la récente mise en place de l'expérimentation sur la vente d'antibiotiques à l'unité, on irait dans le sens opposé ? Les Français sont contre. Ils l'ont dit à deux reprises cet été dans deux sondages importants.
PUISSANCE TOXIQUE
Ils sont contre la vente des médicaments en supermarchés, car le médicament n'est pas un produit comme les autres, produit paradoxal dont le pouvoir thérapeutique peut, mal utilisé, se retourner en puissance toxique. Et les français sont contre l'ouverture du capital des officines car attachés à la pharmacie proche de chez eux avec un pharmacien indépendant dans ses conseils.
Tous ces axes de réforme sont régressifs, et c'est dommage quand il existe des axes progressistes. Nous proposons de continuer l'effort de réformes dans les directions fondamentales qui font consensus. Pour une pharmacie toujours plus intégrée dans la chaine ambulatoire, aux côtés des autres professionnels de santé, avec un meilleur lien ville-hôpital.
Pour une pharmacie de proximité avec plus de services personnalisés pour chaque patient. Et pour une pharmacie qui attire les jeunes et fait place aux jeunes pharmaciens, avenir de la profession, source d'innovation et de dynamisme.
Ce sont les axes qu'il faut considérer : c'est là qu'il y a le plus de bénéfices à attendre, pour la santé des français, pour leur pouvoir d'achat, pour l'égalité, et pour l'équilibre des finances publiques.
Les comparaisons européennes montrent que la pharmacie française est performante, y compris du point de vue des prix des médicaments non remboursables. La France a mis au point un modèle pharmaceutique fonctionnel, évolutif et doté d'une bonne capacité de réponse aux défis de son temps, comme l'absence de médicaments falsifiés.
Ceux qui briseraient une construction patiemment mise au point, adaptée aux réalités du pays, sécurisante pour les français et efficace économiquement, joueraient aux apprentis-sorciers.